lundi 2 janvier 2012


GÉRER LES
COURTS-CIRCUITS

La partie est en cours, tout se passait bien jusqu'à ce qu'un joueur décide de faire un truc que vous n'aviez pas prévu... pire..., il décide de faire quelque chose qui va court-circuiter votre scénario.
Voilà, on est en plein dilemme jeu-de-rôlistique : faut-il privilégier la trame du scénario en remettant les PJs sur les rails, faut-il privilégier la liberté d'action des joueurs en jouant le court-circuit.
Soyons manichéens, observons ce qui se passe dans les deux cas de figure appliqués à l’extrême, sans concession.

Remettre le joueur sur les rails / Privilégier la trame scénaristique
« Vous essayez de sortir de la ville, mais vous ne pouvez pas, car une pluie diluvienne s’abat sur vous, vous devez regagner l’auberge au plus vite… »
L'inconvénient : les décisions susceptibles de court-circuiter l'aventure sont remises par vos soins sur les rails et ça risque de se voir, du coup, les joueurs décrochent car ils se disent que quoi qu'ils décident, ils sont prisonniers de votre scénario, on est plus dans un jeu avec des interactions, mais dans un récit et là, c'est terrible...
L'avantage : on passe par toutes les étapes prévues par votre scénario, rien n'est sacrifié, l'histoire garde toute sa cohérence, toute sa pertinence.

Jouer le court-circuit / Laisser libre court aux joueurs, peu importe ce qui adviendra...
On est à l'inverse du premier cas de figure :
L'avantage : c'est que vos joueurs sont maîtres de leurs décisions et ces décisions ont une véritable influence (voire incidence) sur l'histoire (ce qui sous-entend que le MJ joue aussi à fond les décisions des joueurs).
L'inconvénient : ce que vous aviez prévu est foutu, il faut oublier vos notes et improviser, mais cette improvisation faite au pied levé risque fort de vous éloigner du dénouement prévu et pire de vous éloigner de ce qui faisait l'intérêt même de votre scénario, et là, c'est terrible...

Donc
L'idéal serait de garder les avantages des deux cas de figure :
Laisser les joueurs entièrement libres de leurs décisions et ne pas sacrifier les étapes de votre scénario.
Pour que cela soit possible, il faut que votre scénario laisse des portes ouvertes aux dérapages, aux courts-circuits, il faut se demander "et si les joueurs n'allaient pas faire ça". Evidemment, il est impossible d'écrire ou d'imaginer toutes les décisions qu'ils seront susceptibles de prendre, alors que faire ?

Ce qui est sûr c'est que les PJs partent d'une situation de départ pour arriver à une situation finale, entre les 2, il y a les étapes : des PNJs, des situations, des lieus, des informations.
Ce qui est aléatoire, c'est la façon dont les joueurs vont appréhender les étapes. C'est là que le MJ doit savoir être à l'écoute, prendre en compte les décisions des joueurs, improviser, imaginer de nouvelles situations et pour cela, il faut se fier au bon sens, à la psychologie des PNJs, à la logique de l'univers de jeu élaboré.
Si les joueurs zappent  des étapes (même importantes), tant pis, il faudra en créer de nouvelles, des étapes de remplacement qui seront dictées par la nécessité de l'aboutissement de l'aventure et par les situations de jeu.

Le meneur crée la trame de son histoire, avec une situation de départ, une situation d'arrivée et les étapes intermédiaires et les joueurs aussi créent par leurs choix de nouvelles situations, ou des situations proches de celles que vous aurez prévues, sans pour autant être identiques. Ainsi, ils participent également à l'élaboration du scénario durant la partie. Il y a donc deux scénarios, celui qu'aura écrit le MJ et celui qui sera joué. Le premier aide au bon déroulement du deuxième, mais seul le deuxième est véritablement important... 
Quelques idées pour anticiper les courts-circuits
Une fois votre scénario écrit, pourquoi ne pas le relire en se demandant à chaque étape « Et s’ils ne faisaient pas ça » et esquisser rapidement quelques portes de sorties.
Exemple : (où l’on imagine l’étape d’un scénario)
Etape Rodolphe
Rodolphe (un PNJ) possède une information cruciale pour les PJs, il habite au sud de la ville dans une vieille baraque isolée près des marécages. On décrit la psychologie du PNJ ( il est excessif, semble avoir perdu la raison, etc ), elle servira de support à l’improvisation pour le MJ, lorsqu’il jouera Rodolphe.
Et si les PJs ne vont pas au sud de la ville ?
- Ils peuvent le trouver près du lac où il pèche tous les jours
- Il est connu des habitants de la ville pour son excentricité
- Etc
Et s’ils se font de Rodolphe un ennemi ?
- Rodolphe a confié son secret à d’autres habitants, qui ne l’ont pas pris au sérieux
- Etc

En cours de partie
L’exemple suivant nous montre un court-circuit qui arrive en début d’histoire, les PJs ne réagissent pas à l’amorce du scénario comme le meneur l'avait prévu et risquent de passer à côté… Comment rattraper le coup, tout en jouant le court-circuit à 100%. 
Les PJs doivent retrouver la trace d'un criminel.
L'univers de jeu serait Venise en 1750 (si vous préférez un vaisseau spatial extra-terrestre 1000 ans après notre ère, ça marche aussi).
On part d'un point A : après avoir posé le cadre, l'ambiance, les lieux, déterminé qui étaient les PJs, fait un peu de role-play, on découvre un cadavre dans une rue portant une marque étrange.
On peut facilement imaginer les étapes comme des indices à découvrir (qui est la victime, quelle est cette marque) et écrire son scénario en fonction de cela.
Mais voilà, les PJs découvrent le cadavre, et là, au lieu de l'examiner, ils vont avertir les autorités compétentes, ils ne pensent même pas à examiner le corps. "Zut, c'est à eux d'enquêter, sinon le scénario n'a plus d'intérêt !" Pas de panique, ne blêmissons pas, il faut jouer coute que coute les choix des joueurs, et les jouer du mieux qu'on peut.
La police arrive, examine le cadavre, pose des questions aux PJs (va t'elle les embarquer pour prendre une déposition, les suspecter du meurtre, les laisser partir en les remerciant de les avoir prévenus...). Déjà à ce stade vous avez un choix à faire qui aura une influence sur la suite des évènements.
Imaginons le pire (c'est lui qui nous intéresse)
Avec les autorités, les PJs (ou un des PJs) ont été plutôt agressifs, voire insultants. On pourrait arrondir les angles en faisant mine que ce n’est pas grave : "Oui, nous sommes incompétents, nous les miliciens, mais ce n'est pas une raison pour le dire" (pourquoi pas, ça peut être marrant si vous êtes tournés vous et vos joueurs sur ce type de dérision). Mais on décide de la jouer sérieux, ambiance oppressante et dangereuse, les PJs sont embarqués au poste, suspecter du meurtre.
Certes, c'est dur de mener une enquête depuis la prison, (espérons que les PJs tenteront des actions, d'argumenter, d'essayer de faire intervenir une relation, dans tous les cas, il ne faudrait pas que ça tombe tout cuit non plus...). Que ce soit de l'initiative des PJs ou du MJ (qui les sort du pétrin) il faut que cette libération soit justifiée et crédible (un PNJ influant, ami d'un PJ débarque au commissariat pour plaider en la faveur de son ami, la police a découvert des indices qui mettent hors-jeu les PJs, bref selon l'univers, le background et le scénario, essayez de faire un choix pertinent.
Pour l'instant, on est loin du scénario qui était prévu, mais voyons le bon côté des choses, de nouvelles idées ont émergées et pourront être utilisées. L'inimitié avec la police fait que nos aventuriers ne pourront compter que sur eux-mêmes, les PJs devront être discrets par la suite, s'ils ne veulent pas retourner en cellule.
Ce n'est pas fini
Maintenant les PJs sont à nouveau libres. Mais quel est leur métier au juste, quel rôle jouent-ils dans cet univers ?
L'un d'entre eux est libraire en livres occultes, l'autre professeur d'histoire et le troisième est l'homme d'action, c'est un expert en escrime. Ces 3 professions trouveront une justification dans la suite des événements (le meurtre est commis par une secte qui voue un culte à une divinité) mais pour l'instant, ils sont dans la logique de leur personnage, ils n'ont aucune raison d'enquêter sur le crime, ce ne sont pas des enquêteurs. Voilà, vous pensiez que le meurtre de départ allait chatouiller leur curiosité et du coup les pousser à l'investigation, mais ce n'est pas le cas.
Il faut les impliquer
Pour cela je décide (en tant que MJ)
1) qu'un meurtre similaire affectera un proche des PJs. Le désir de vengeance espérons sera un moteur suffisant de rattacher les joueurs au scénario.
2) que la victime du début est le fils d'un professeur collègue à l'un des PJs, celui-ci est accablé et de plus, la police s'emble vouloir clôturer l'affaire, il veut venger son fils et demande conseil à son ami (ici, on utilise la compassion du joueur...)

Une bonne formule pour l’écriture du scénario
Un scénario cohérent, où les courts circuits ont étaient gérés en amont, des PNJs biens sentis dans leur psychologie, une bonne connaissance de vos joueurs, de leurs goûts (films, livres, jeux), vous aideront à improviser. N’hésitez pas à vous aider de fiches qui feront le petit plus (comme des listes de noms pour les PNJs secondaires avec un métier, ou une fonction à côté,  une petite fiche sur la ville ou village : qui est le gérant, la milice, les lieux importants, le nombre d’habitants, l’architecture, les ressources, les liens avec l’environnement et les autres villes ou villages).

Une bonne formule durant la partie
Sachez prendre votre temps, pour analyser les situations, prendre des décisions et présenter clairement les choses aux joueurs, qu’ils assimilent bien les tenants et aboutissants de chaque étape.
Essayez de tirer le meilleur parti de chaque nouvelle situation dans laquelle les joueurs vont mettre leurs personnages pour improviser des choses intéressantes, plausibles, cohérentes. 
Des balises plutôt que des impératifs
Les étapes prévues par votre scénario sont des repères, qui vous permettront d'improviser et de garder le cap, ce ne sont pas des passages obligatoires. N'ayez pas peur de vous en éloigner, d'ouvrir de grandes parenthèses, de prendre le temps de jouer chaque scène (les prévues comme les imprévues). L'étape importante sur laquelle reposait votre scénario est passée à la trappe, servez-vous en pour en créer une nouvelle plus adaptée aux circonstances de la partie. Sachez la servir au bon moment.


LP

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